PUBLIE LE : 08-02-2017

par : Nadia Kerraz

Entretien, M. TALAÏ : « Il est temps que les investissements deviennent productifs »

photoDans son bureau où il nous a reçues pour réaliser cet entretien, Boudjemaâ Talaï, ministre des Transports et des Travaux publics, n’a pas manqué d’évoquer, avec sa franchise habituelle, la situation de ses deux secteurs à la tête desquels il est depuis juin 2016, suite au remaniement ministériel partiel opéré par le Président de la République.

Dans son bureau où il nous a reçues pour réaliser cet entretien, Boudjemaâ Talaï, ministre des Transports et des Travaux publics, n’a pas manqué d’évoquer, avec sa franchise habituelle, la situation de ses deux secteurs à la tête desquels il est depuis juin 2016, suite au remaniement ministériel partiel opéré par le Président de la République.

El Moudjahid : M. le ministre, quels sont les projets qui seront livrés en 2017 ?

M. Boudjemaâ Talaï : Je veux que l’année 2017 soit celle de la mise en service des investissements qui ont été lancés et qui tardent à être mis en exploitation.

Par exemple ?

L’allusion est faite aux pénétrantes autoroutières, aux voies ferrées, aux lignes ferroviaires, tant de banlieue que les lignes et aux infrastructures portuaires. Si vous voyez le nombre de projets mis en chantier, c’est énorme. Il y a 2.380 kilomètres de voies ferrées en cours de réalisation, il y a des extensions de ports d’Oran, d’Arzew, de Jijel, de Béjaïa… Pour ce qui est des pénétrantes autoroutières, il y en a autant à l’Est, au Centre et à l’Ouest. C’est beaucoup d’argent qui est mis en investissement, mais personne n’en profite. Donc priorité est donnée à la mise en service de ces projets. Que ces investissements servent et qu’ils aient de la rentabilité. Nous avons mis en service la ligne Zéralda-Birtouta. Elle rend un service énorme. Ils sont des milliers de passagers à la prendre. Et depuis sa mise en service, il y a moins de circulation sur cet axe-là. Il y a aussi la ligne Thénia-Tizi Ouzou qu’on doit ouvrir en avril, et elle ouvrira en avril. Celle de Tissemssilt-Boughzoul ouvrira aussi en 2017. C’est pour vous dire qu’il y a un tas de projets qu’on veut ouvrir en 2017, parce que je pense qu’il est temps que ces investissements se mettent à être productifs. Et tous les domaines sont concernés.

 

Qu’en est-il du plan logistique national ?

C’est un deuxième volet. Vous savez que l’Algérie dispose d’infrastructures, de ports secs et humides, de zones de conditionnement de différents secteurs, industrie, agriculture logistiques, même des entreprises qui dépendent de nous, et tout cela est connecté à des routes, des voies ferrées. Mais il n’y avait pas de stratégie en termes de logistique. Ce que nous voulons faire, c’est le plan national de logistique à partir de ces infrastructures et de celles qui sont en projet. Dans le secteur, il y a 30 zones logistiques qui vont être construites. L’objectif est de créer le plan national de logistique, pour réduire le coût logistique dans les produits. C’est économique. Ce n’est pas construire pour construire. Les produits agricoles ont besoin d’être conditionnés avant d’être exportés, vendus ou distribués. Pour être distribués, il faut différents modes de transport. Actuellement, le coût logistique est de 30% à 35%, il faut le réduire à la norme qui est aux alentours de 5%.

Pour rester dans le domaine de l’économie, il y a une stratégie gouvernementale qui vise la diversification de l’économie. Quel en est votre apport ?

La diversification est une volonté politique. Cela est vrai. En tant que secteur des Transports, je suis un relais. Il n’y a pas de développement de l’économie sans transports. Le transport étant un moteur du développement. Sans infrastructures de base, sans transports performants, il n’y a pas de développement. Donc on est le nœud de la stratégie.

La crise financière a-t-elle impacté les deux secteurs à la tête desquels vous êtes ?

La meilleure preuve que les choses ne sont pas impactées, comme vous le pensez, c’est qu’on est en train de livrer nos projets. Les projets sont en cours de réalisation et continueront à être réalisés. Peut-être avec un peu de retard, mais, ce qui est sûr, c’est qu’ils seront réalisés. Cela étant dit, pour les nouveaux projets non économiques, qu’ils soient gelés, cela ne dérangera personne. Par contre, les projets à vocation économique, ceux-là se font. On vient de lancer la ligne minière Djbel Enk-Annaba. C’est un projet important qui va transporter du phosphate, du minerai de fer. Parce qu’il a un impact économique, il a été lancé.

Dans le cadre de la stratégie gouvernementale, il y a également la volonté de faire de l’Algérie un hub maritime et aérien pour l’Afrique. Êtes-vous en train de travailler sur cet axe ?

L’Algérie, de par sa position géographique, est un hub naturel. Il est là. Maintenant, pour le transformer en vrai hub de transit de marchandises et de personnes, il faut que les infrastructures soient là et à un haut niveau de modernité et de sécurité… Le nouvel aéroport d’Alger est en cours de construction et sera livré en 2018. C’est un hub aérien. Pour le maritime, nous avons le projet Port-Centre. Il sera le hub maritime. L’infrastructure de base existante servira de relais à ce nouveau port et à ce nouvel aéroport, pour faire du transit. C’est quoi un hub ? C’est tout simplement transiter par ce pays et partir ailleurs tant en marchandises qu’en transport humain.

En évoquant le transport de marchandises, un peu plus de 95% de nos marchandises transportées par voie maritime le sont par des pavillons étrangers. Y a-t-il des projets pour réduire cette dépendance ?

Pour réduire ce taux, il faut avoir des capacités au niveau du pavillon national. Pavillon national veut dire transporter en dinar algérien. Aujourd’hui, notre flotte est réduite à quelques bateaux sous deux compagnies. Et on ne représente rien en termes de pourcentage. Maintenant il existe deux solutions : un plan d’acquisition de navires, et il est en cours de réalisation, et des actions de partenariats pour créer des compagnies de droit algérien avec des partenaires étrangers, pour pouvoir utiliser leur flotte sous pavillon algérien. Nous avons un plan pour arriver à 30%. Si on arrive à ce taux en 2019, on est très bien. Maintenant, le coût du transport influe sur les caisses de l’État, parce que le transport est payé en devises. C’est pourquoi la seule solution est de passer pavillon national pour transporter nos marchandises vers les ports algériens, et vice-versa. Il ne s’agit pas de transporter les marchandises des autres.

M. le ministre, il est reconnu qu’il y a une amélioration dans les transports. Mais certaines insuffisances demeurent tant dans le transport urbain, aérien, ferroviaire que maritime…

C’est beaucoup de problèmes à la fois. Si on regarde les routes, la solution, c’est le transport urbain en sudpropre. Un peu comme le métro, tram, tout ce qui est organisé en transports urbains collectifs. Pour ce qui est du transport aérien, la flotte a été renouvelée. La moyenne d’âge a été ramenée à 4 ans, il y a eu beaucoup d’acquisitions. Le problème qui se pose relève plus tôt de l’organisation. Pour ce qui est du maritime, l’ENTMV a un programme d’acquisition de bateaux aussi. Cette compagnie est en train de lancer des appels d’offres pour acquérir de nouveaux bateaux. Pour le moment, on achète un d’une grande capacité. Mais la solution est dans l’affrètement. La compagnie affrète chaque saison estivale. Et cela marche bien. Si on pense aussi ouvrir le transport de pèlerins par la voie maritime, il faut des moyens. On est un pays au sommet de l’Afrique, sur la Méditerranée nécessairement, il faut renforcer le transport maritime, qu’il soit urbain ou autre. Moi, j’ai la certitude qu’il faille aller dans le développement de cela.

On a également évoqué l’ouverture de la ligne maritime entre l’Algérie et la Tunisie…

Il n’y a pas de problème. La demande existe, l’accord maritime doit être amendé légèrement. Il suffit d’avoir les capacités pour le faire. Pour faire une ligne Tunis-Alger ou Annaba-Tunis, il faut un moyen de transport. Il faut mobiliser un bateau. La faille est à ce niveau-là.

Les Algériens usagers des transports tous modes confondus sont-ils en droit d’attendre des améliorations ?

Je considère qu’il y a amélioration déjà dans l’urbain. Pourquoi. Si l’on prend le métro qui transportait quelques milliers de personnes au début, maintenant il en transporte un million par mois et il passe à 2 millions par mois. Les extensions que nous sommes en train de faire vont permettre de doubler le nombre de passagers utilisateurs du métro. On sera le seul métro à terme à pouvoir équilibrer entre le coût d’exploitation et les recettes qu’il fait. C’est du jamais vu dans le transport urbain. Pourquoi ? Parce qu’il y a des flux importants qui sont transportés. Maintenant, on est en train de faire le transport urbain maritime. Les gens sont contents. Mais pour ouvrir le transport de ville à ville, d’Annaba-Alger ou Alger-Oran en maritime, il faut des moyens.

Qu’en est-il du projet du bus à haut niveau de sécurité ?

C’est une version qui existe un peu partout dans le monde, en Europe, en Iran… C’est en fait un tramway pneumatique. Ce sont des bus longs qui font 18 mètres environ qui transportent beaucoup de passagers. Mais en site propre, sur une voie qui leur est réservée. Nous avons une étude entre Tafourah et l’aéroport passant par la grande Mosquée et les Sablettes. Ce sont des bus haut niveau de sécurité qui n’utilisent pas le diesel, mais du gaz stocké en toiture. Il circule librement puisqu’il n’y a pas d’interférence de circulation. Il a des arrêts en terre-plein. C’est une solution pour Alger. On doit la présenter probablement pour accord avant de l’annoncer. Et elle se fera en dehors du Trésor public. Elle se fera en financement par des investisseurs algériens doublés de privés.

Pour amortir, entre autres, les coûts de l’entretien du réseau routier, on avait fait état de l’instauration du péage au niveau des autoroutes. Qu’en est-il de cette mesure ?

L’entretien coûte de l’argent. Il faut un budget pour cela, et je pense qu’il faut l’imaginer en dehors du budget de l’État. Le péage est une solution, ne serait-ce que pour maintenir cette autoroute à niveau, pour offrir un service de qualité. Mais, pour instaurer le péage, il faut mettre l’autoroute à niveau. Tant aux plans de la sécurité que du confort. L’autoroute n’est pas terminée. Il reste un tronçon à l’Est qui n’est pas achevé. Les infrastructures d’accompagnement et de péage sont en cours de réalisation.

On reproche aussi la mauvaise qualité, du moins sur certains tronçons de cette autoroute. Êtes-vous d’accord avec ce reproche ?

Ce que je sais de cette autoroute, c’est que les parties qui ne sont pas bien sont celles où le terrain glisse. Je fais allusion à ce qui s’est passé à Bouira et à Constantine. C’est un phénomène que personne ne peut maîtriser, parce que la géotechnique n’est pas une science exacte. Nous faisons des réparations et nous apportons des solutions techniques. Mais quand la terre bouge, il y a des dégâts. On s’efforce d’y répondre de manière efficace. Nous allons ouvrir dans 10 jours le tronçon de Bouira. Mais vous voyez qu’à l’ouest, la route est bien faite. À Sétif aussi. Mais il faut avoir à l’esprit qu’une route est faite pour être endommagée. Si vous prenez l’autoroute qui monte du sud de la France vers le nord du côté allemand, où les gens ne paient pas, elle est dégradée, parce qu’elle est surchargée en nombre d’utilisation, en poids. C’est le problème des routes. Elles sont calculées pour un poids, et les gens dépassent ce poids. C’est pour cela qu’on veut mettre des pesages pour contrôler le poids. La réglementation le permet maintenant en Algérie. Pour ce qui est des infrastructures d’accompagnement, l’autoroute n’est pas terminée.

Autre sujet, le permis à points. Quand sera-t-il mis en vigueur ?

La loi a été adoptée au Parlement. On attend juste sa publication dans le Journal officiel qui doit se faire bientôt. On commencera à faire les tests rapidement. C’est avec l’intérieur qu’on va le faire. Les automobilistes vont-ils devoir restituer leurs permis actuels ?

Tant qu’on n’a pas institué le permis à points, l’ancien permis demeure valable. Dès que le système sera prêt, ils auront leur permis biométrique.

Croyez-vous à l’efficacité de ce permis ?

Oui. Sinon on ne l’aurait pas fait.

Vous avez déclaré, il y a quelques mois, que les deux secteurs se portent mieux, mais qu’il y avait encore quelques lacunes. Y avez-vous remédié depuis, et avez-vous le sentiment que les choses ont progressé ?

Je vais être franc avec vous : j’ai aujourd’hui une meilleure visibilité. Notre nouvel organigramme est validé. Nous le mettons en œuvre. Cela suppose qu’il n’y a pas plus de double fonction, de double emploi, que chacun a une mission claire. Avant, celui qui réalise était déconnecté de celui qui exploite. Aujourd’hui, on peut ouvrir un aéroport avec la même autorité. Je le réalise, je l’exploite et je le gère en même temps. Au niveau des structures, c’est plus rapide. Le traitement des questions se fait de manière rapide. J’estime donc qu’il y a amélioration au niveau du fonctionnement, et, en même temps, il y a moins de charges d’exploitation. Au niveau du budget, il y a moins de gaspillage. Les entreprises sont reconfigurées en groupes. Entre Transports et Travaux publics, il y a 7 groupes. Ils sont gérés de manière autonome. Il n’y a que l’AG qui interfère dans la gestion. Il y a plus le ministère qui interfère dans la gestion quotidienne. Cela apporte de l’amélioration. Pour ce est qui des améliorations dans les transports, c’est aux usagers de le dire. Pour ces deux secteurs, c’est l’utilisateur qui est là pour constater. S’il y a une route de mauvaise qualité, si un avion a trop de retard, c’est visible. Or, il faut reconnaître qu’il y a moins de retard qu’avant. Le métro fonctionne mieux. Il est géré par des Algériens, seul le DG est français. Le personnel algérien a été formé. Pour ce qui est du tramway, il est de bonne qualité.

Que faire contre la fraude qui pénalise la trésorerie de ces entreprises ?

Au niveau de métro, on n’a pas de problème de fraude, contrairement au tramway. La fraude, ce sont des recettes en moins que paye le Trésor public. C’est cela le problème. On va régler ce problème avec la police du transport urbain mise en place par la DGSN. Cela réduira la fraude.

Y a-t-il des campagnes de sensibilisation pour faire appel au civisme ?

Oui. Mais la fraude est un phénomène qui existe partout. Sncf France fait des messages de sensibilisation pour dire ce que coûte la fraude en termes d’investissements. Ce sont 380 millions d’euro de manque à gagner en raison de la fraude, et c’est un manque d’investissement pour la Sncf. Ce que nous disons nous à la Sntf, c’est que tout le monde fraude. Sur la ligne Alger-Bab Ezzouar, c’est tout le monde qui ne paie pas. C’est devenu une pratique. Les contrôleurs sont agressés. Il faut sensibiliser les usagers, et il faut aussi de la rigueur.

Quel est le manque à gagner ?

C’est 60%. On a mis en place des formules, on a intéressé les contrôleurs, mais sans résultat. Pourquoi à l’étranger, les gens sont plus civiques ?

Quels sont vos projets pour le secteur ?

Je ne peux pas énumérer toutes les choses, mais il ne faut pas baisser les bras. On espère moderniser toutes les entreprises et les moyens. Je demande à ce que le citoyen s’implique. Ce que nous réalisons, c’est pour lui. Tant que le citoyen ne paie pas, le budget ne peut pas se faire. Le trésor ne peut pas payer à chaque fois.

Source : https://www.elmoudjahid.com/fr/actualites/105054